Nadine Ribault – Les ardents

Bienvenue sur les terres d’Isentraud, dame de Gisphild. Bienvenue dans ces Flandres maritimes, quelque part entre la mer et la brume, entre le sable et les marais. Dans ce château qui domine la lande, et demeure debout, sans qu’on sache comment. Sinon grâce à ces hommes transformés en esclaves, affairés chaque printemps à le consolider, encore, et encore, et encore. Soumis aux vents marins, à l’humidité des longs automnes, aux gels d’hiver sans fin, à la moisissure qui en suçait les parois de bois, les pieux et les pentes, à l’enfer redoutable d’attaques régulières, le château menaçait de crouler, réduit à rien de plus, sur sa motte, qu’à la chair et aux os d’une femme solitaire qui, dans son donjon, retranchée, faisait régner à ce point sa loi qu’elle décidait de la vie de chacun et menait au-delà de l’épouvante ce qu’il est d’usage d’appeler le pouvoir.

Au royaume d’Isentraud, souveraine corsetée par le pouvoir, l’idée du pouvoir, l’envie du pouvoir, et la colère, et la solitude, tout est grisaille, pourriture, humidité et froideur. Nadine Ribault ne fait pas dans la demi-mesure. Au squelette d’autrui, Isentraud , dame de Gisphild, être sans pitié, aiguisait ses canines, écrit-elle. Son texte puise son souffle à de multiples sources. Il y acquiert, presque, une dimension magique, tant elle y mêle de d’influences, d’images, d’atmosphères et de mots. Les ardents tient de la rumeur, de la légende, murmurée, du récit de troubadour. Les femmes y ont la part majeure mais pas belle, loin, très loin d’un médiéval de courtoisie. Outre Isentraud, Dame cruelle, hantée par la crainte de sa chute, on y rencontre Goda, condamnée en même temps qu’invincible, l’épouse ramenée des collines du Boulonnais, comme d’un rêve nocturne, une princesse surnaturelle, noble d’âme, belle de corps, richement dotée, pure jusqu’au vertige que peut donner ce trait à trop le contempler, chassée par Isentraud et exilée dans une ferme isolée, en bordure des bois. Et on y suit, on y poursuit, Abrielle, fille des forêts et des marais, libre de choisir comme elle vit, qui elle aime, sorcière devineresse enchanteresse et guérisseuse. Moins de panache, versant masculin. Arbogast le silencieux, l’homme de guerre, brutal, arrogant, imprévisible, se tait face à la volonté de sa mère, y soumettant y compris l’épouse qu’il s’est pourtant rêvée. Sir Bruny, son ami d’enfance et néanmoins vassal, perd la tête dans les bois à la poursuite de la fée Abrielle, sans parvenir à affronter Isentraud, à sauver Goda. Inis le chevrier lubrique anime les bois et s’effondre de trop d’orgueil, de suffisance et d’impuissance. Baudime, le sage, le fou, l’ermite, le voyageur, se perd dans les ombres, rongé par la maladie.

Dans ce monde que réinvente Nadine Ribault, les personnages sont à la hauteur des paysages, qui les façonnent autant qu’ils les subissent. On habite un univers liquide et trouble, tout en clairs obscurs, en chiens et loups. Avec le Mal des Ardents qui décime les populations, la folie rôde. Une forme de mal, qui ronge et détruit, les corps et les âmes.

Face à cette forme d’immensité, du lieu, des hommes, il semble n’y avoir pas de solution, ni d’espoir. C’est peut-être ce qui ronge les figures de ce roman, incapables d’apporter de vraies réponses, à leurs questions, à celles des autres. Leurs doutes, leurs désespoirs, leurs attentes, font leur humanité. De même que leurs incessants questionnements, trop souvent vains.

Nadine Ribault – Les ardents – Editions Le mot et le reste

Et dans un registre totalement différent, mais parce qu’il m’est immédiatement revenu en mémoire, à la lecture : Soleil, de Yokomitsu Riichi chez Anarchasis Editions – Une contrée sombre, sauvage, des châteaux noyés au milieu des forêts, des montagnes sillonnées par les soldats en guerre, la princesse Himiko… à découvrir également.

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