Sarah Serre – Bâtir le ciel

Comme un conte, une fable moralisatrice, un essai sur le vide, Bâtir le ciel, premier roman de Sarah Serre nous emmène, haut, très haut, toujours plus haut, là où l’hubris entraîne l’inconscient, oublieux du principe : terrible sera la chute.

On se laisse attraper, par ce texte et cet univers, graphique, caricatural, manichéen, démesuré aussi, démesuré surtout. En bas il y a Salve, la ville, ses avenues, ses lignes droites, son ennui de bord de mer. En face, il y a l’île, et sur l’île la cité sui s’élève toujours plus haut, vers le ciel. Cité qui mange la lumière, efface le soleil, écrase Salve de son ombre. Cité qui appelle, tentatrice, attirante, terrifiante. D’en bas, on ne voit qu’elle. Mais on en sait somme toute peu de choses. Certains disparaissent. D’autres reviennent, brisés. Nombreux sont ceux qui en rêvent, jour et nuit, éveillés endormis.

Bâtir le ciel raconte une enfant nourrie de mises en gardes, devenue jeune fille, rongée par l’ennui, une forme de lassitude, bien décidée à partir à l’aventure et trouver la réponse aux questions qui la rongent, lancinantes. Bâtir le ciel est donc, à sa manière un roman conte d’initiation. Qui reprend les caractéristiques de la quête. Pour accéder à l’île il faut grimper. Ceux qui y vont se lancent dans l’Ascension. Et la route, qui démarre tranquillement, s’avère truffée d’embûches, dangereuses. L’île se mérite, ses bâtisseurs prennent tous les risques. Ils avancent poussés par une foi aveugle, qui leurs fait laisser derrière eux des siècles de bâtis, austères, ornés, superbes, en ruine, c’est selon, les temps, les accidents.

Notre jeune fille, héroïne malgré elle parvient là-haut. Elle intègre le groupe des Sculptrices. Travail ingrat, ardu, froid, vent, drames, peu de joies, cette obsession : toujours plus haut.

Bâtir le ciel est une novella fantaisiste et philosophique, un biais littéraire, pour questionner l’humain et son rapport au monde. Ses croyances, ses fanatismes, ses obsessions. Son incapacité à revenir en arrière, sa soif de toujours plus. C’est une fable qui interroge : rapport au temps, à l’espace, à l’être. Et si la structure du récit est finalement assez convenue, la fin prévisible, il y a dans ce cheminement, cette ascension avant le retour, dans ses murs levés vers les cieux, dans le vide environnant, quelque chose de fascinant, une dimension tragique, porté par la question du sens de l’existence, qui évidemment, et comme toujours : ne trouve pas de réponse.

Sinon, dans la pierre des bâtiments, dans le blanc sur le bleu du ciel, dans ces nuages qui flottent, dans le froid, la pluie, la transformation du bâtisseur en être de l’air, du vide. A bâtir pour bâtir, à oublier le monde, à se vouloir plus grand, on s’égare, toujours plus loin, toujours plus seul. La cité est une Babel de solitude, un rêve devenu cauchemar.

Sarah Serre – Bâtir le ciel – Le mot et le reste

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