Démolition – Anna Enquist

Cette image : la boule au bout de sa chaîne, qui frappe le mur, et la petite fille qui saute à la corde qui s’écroule, disparaît. La scène d’ouverture du nouveau roman d’Anna Enquist porte et oriente tout le texte. Où il est question de quête intime, de naissance à donner, d’(in)fertilité, de création, d’amour et de désir, de confiance en soi en les autres, de relations mère fille. De quoi meubler des années d’analyse, un exercice auquel ne se plaît guère Alice, compositrice de son métier, et femme sur le fil.

Démolition commence à ce moment de son existence, où le besoin de maternité se fait violemment, brutalement ressentir, et où son apparente infertilité, ou celle de son mari, voire plus précisément leur incompatibilité, la ronge tout particulièrement. C’est que les années passent. Et si Alice mène depuis toujours une carrière remarquable, remarquée, tout en alimentant sa fortune personnelles de productions publicitaires dont elle ne dit rien à personne, elle sent aujourd’hui que lui manque un enfant.

Sur cette base, Anna Enquist déploie tout un arsenal narratif et nous plonge dans l’esprit et la mémoire d’un personnage à qui en apparence tout semble sourire, mais qui en réalité dissimule des abîmes d’incertitude et de fragilité. La construction du récit est minutieuse, et nous permet de rencontrer une mère peu aimante, des amants trop âgés, la meilleure amie tout entière dévouée à ses enfants, un mari là sans l’être, l’acte créatif, et les inspiration qui font d’Alice une compositrice très en vogue – ce dont elle ne semble pas véritablement consciente. On revient sur le déroulement d’une existence faite de heurts, on découvre un personnage abîmé sinon dans la dépression, au moins dans une mélancolie sourde, lancinante, qui semble omniprésente, que le quotidien n’efface jamais tout à fait. Pièce après pièce, Anna Enquist compose le portrait disparate d’une femme qui arrive à la quarantaine, et s’interroge, sur elle-même, sur son rapport au monde, sur le sens de son existence. Maternité ou création sont deux parcours qui la hantent, et qu’elle n’est  jusqu’à maintenant jamais parvenue à accorder. Mais pour ce faire, pour avancer, pour peut-être trouver une voie, encore faut-il qu’elle parvienne elle-même à se lire, se comprendre, s’accepter et accepter un parcours sur lequel de toute façon fatalité, elle ne peut revenir.

Et dans cette quête de soi, la petite fille qui saute à la corde est peut-être une clé.

Anna Enquist – Démolition – traduit du néerlandais par Emmanuelle Tardif- Actes Sud

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