Joy Majdalani – Le goût des garçons

Beyrouth, Liban. Elles ont treize ans, elles fréquentent le très select collège Notre-Dame de l’Annonciation, privé pour filles de bonnes familles. Elles sont un monde à elles seules, régi par ses règles, ses codes, ses non-dits, ses interdits. En classe siègent les Dangereuses, dominant la masse des insignifiantes. On en est ou on n’est rien ; telle est en tous cas l’intime conviction de la narratrice de ce premier roman de Joy Majdalani, plongée dans ce microcosme féminin de l’adolescence, immersion dans un jeu trouble, d’où toutes s’extrairont, tôt ou tard, mais conditionnées, formatées, calibrées pour l’avenir par ces années collège où la seule obsession de toute une chacune se limite à un mot : garçons.

Le goût des garçons est un texte à la fois cru et naïf. Cru : le désir, l’envie, la projection des fantasmes – la narratrice détaille une envie de viol, conditionnée par les stéréotypes dont on l’abreuve, depuis toujours, et son incapacité à s’en extraire et pour cause : elle est une fille dans un environnement exclusivement féminin et n’a aucun moyen de se confronter à un quelconque réel masculin -, les discussions entre copines. Et en parallèle, naïf oh combien, quand il s’agit d’observer son corps qui change – la pilosité des collégiennes offre quelques pages fabuleuses, et un rôle en or à l’esthéticienne -, de nouer des amitiés, de décoder les mille et une trahisons qui font l’essence des relations de ces jeunes filles en fleurs et dont elles sortent évidemment victimes, mais consentantes.

Treize ans, c’est l’âge parfait, pour un roman d’initiation. Et il va bien au-delà de la seule sexualité, réelle ou rêvée, de ses protagonistes. Au travers les amitiés qui s’y nouent, s’y dénouent, c’est l’ensemble des codes de la bonne société libanaise qui passe au crible de l’analyse d’une narratrice obsédée, angoissée, alertée, terriblement : éveillée. Tous les filtres en place depuis sa naissance, qui conditionnent sa manière de vivre, de réfléchir, trouvent à ce moment précis leur utilité – et leur limite. Parce qu’elle occupe un entre-deux – pas pauvre, mais pas vraiment riche ; pas jolie, mais pas totalement insignifiante ; pas courageuse, mais définitivement pas timorée – elle va trouver peut-être la seule voie qui lui reste : l’opposition ; l’affirmation de soi par la révolte ; le rejet des codes auxquels en définitive, se plient bien volontiers toutes les autres, insignifiantes ou Dangereuses, fameuses Dangereuse, dont l’éclat pâlit, au fur et à mesure que l’expérience grandit.

Dans une société ultra policée, moraliste, aux aguets, les échappatoires sont rares. Les rêves portent ailleurs – en France, pour certains. Sur place, le principal tient à la réputation, sacro-sainte, protégée. Celle qui préserve les familles, celle que les mères, comme les bonnes sœurs, et même les garçons en définitive, scrutent. Quand elle s’envole, il ne reste plus rien. Plus rien, que ce qui nourrit notre narratrice : une féroce conscience de soi, de son corps, de son pouvoir. Et peur de rien.

Joy Majdalani – Le goût des garçonsGrasset

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