Jo Walton – Morwenna

« On entend souvent dire qu’il faut écrire sur ce qu’on connaît, mais je me suis rendue compte que c’était beaucoup plus difficile que d’inventer. C’est pourquoi vous constaterez qu’il n’existe pas de lieux tels que les vallées galloises, pas de charbon dans leur sous-sol ni de bus rouges qui les sillonnent ; il n’y a jamais eu d’année 1979, d’âge tel que quinze ans et de planète comme la Terre. Mais les fées sont bien réelles ». Des fées et des livres. Morwenna est un rêve d’adolescent lecteur, et si les années sont passées, une potion de jouvence. L’histoire de Morwenna Phelps ? Elle prévient : « Voyez ça comme des Mémoires. La fiction est bien pratique. Elle vous laisse choisir et simplifier. Ceci n’est pas une belle histoire, et ce n’est pas une histoire facile. Mais c’est une histoire qui parle de fées, donc sentez-vous libres de penser que c’est un conte de fées. De toute façon, vous n’y croyez pas. »

Une usine, une mare sombre, des arbres morts, la puanteur. Tout commence par cet instantané du Mordor version industrielle, et deux jumelles d’une dizaine d’années, main dans la main, jetant une fleur magique dans les eaux noires. Et puis revoilà Morwenna, désormais seule. Sa sœur est morte dans l’accident de voiture qui l’a laissée handicapée. Fuyant sa mère, elle a trouvé refuge chez son père, qui l’installe aussi sec dans un chic pensionnat anglais du coin, Arlinghurst.  Un lieu sans magie, sans esprits. Loin de tout ce qu’elle a connu, loin des Vallées galloises de son enfance.

Jo Walton mêle sans artifices ni efforts fantasy et réel. Au point que l’on s’y perd, et que l’on peut y vivre. « Les lieux de mon enfance étaient reliés par des chemins magiques que presque aucun adulte ne suivait. Ils avaient les routes, nous avions ces chemins que nous suivions à pied. Nous leurs donnions des noms tout en sachant qu’ils s’appelaient en réalité « dramroads ». Si j’avais un peu réfléchi, j’aurais vu que c’était le mot « tram ». Il y avait eu autrefois des trams qui roulaient sur ces « dramroads », des trams plein de minerai de fer ou de charbon. Vides et jonchés de feuilles, fréquentés uniquement par les enfants et les fées, ils avaient jadis été de petites voies ferrées. Nous pensions vivre dans un paysage de fantasy alors qu’en réalité nous vivions dans un décor de science-fiction. Je nommais les dramroads d’après des lieux du Seigneur des anneaux quand j’aurais dû reconnaître qu’ils sortaient des Chrysalides. C’est étonnant comment les choses peuvent vous échapper. »  Un monde revisité, une bibliographie conséquente (à date de 1979) en fantastique et SF, une histoire d’amour, un club de lecture, quelques amis, un combat contre le Mal et la sorcellerie tout près de la porte de la mort… Morwenna est un beau roman, illuminé par ses passages en féérie, un cheminement à travers l’adolescence, une route initiatique, et, réponse à cette citation placée en exergue : « N’importe quel âge, entre dix et vingt-cinq ans : ça va s’arranger. Sincèrement. Il y a vraiment quelque part des gens que tu apprécieras et qui t’apprécieront », une promesse.

Il faut lire Morwenna, par nostalgie, par attachement, parce que l’adolescence est loin ou encore là. Parce que les sombres vallées galloises. Parce que l’amour des livres. Parce que Les princes d’Ambre. Parce que les fées. Morwenna a ce pouvoir de raccourcir le temps, et c’est un beau cadeau. Un voyage à peu de frais. Le moyen de toucher du doigt plein de minuscules essentiels. Et ce qui ne gâche rien, une très jolie histoire.

Traduit de l’anglais par Luc Carissimo.

Chez Denoël, collection Lunes d’encre, pour une couverture à la hauteur du récit. Sinon chez Folio SF.  Prix Nebula du meilleur roman 2011 ; Prix Hugo du meilleur roman 2012 ; British Fantasy Award 2012. Valeur très sûre.

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